Palerme (Italie).– C’est une bataille déjà gagnée, quel que soit le résultat des élections de ce dimanche 25 septembre. Sur le fond et sur la forme, les idées du « centre-droit » sur les questions migratoires et sécuritaires ont profondément infusé dans le débat politique italien.
Pourtant, le thème semble d’une significance moindre par rapport aux dernières élections législatives de mars 2018. À l’époque, Matteo Salvini, chef de file de la Ligue, enchaîne les déclarations tonitruantes au rythme du slogan « Les Italiens d’abord ». Le Mouvement Cinq Étoiles, son allié du gouvernement Conte I, s’en prend aux « taxis de la mer ». L’expression de Luigi Di Maio désigne les navires des ONG qui viennent au secours des embarcations de migrant·es en Méditerranée. Matteo Salvini accède ensuite au ministère de l’intérieur.
S’ensuivent deux années de bras de fer avec l’Union européenne, de navires bloqués en mer pendant plusieurs jours et d’une politique de criminalisation des ONG.
Depuis, le contexte a changé. Le conflit en Ukraine et ses répercussions sur les prix de l’énergie, avec le thème de la vie chère, se sont imposés dans la campagne. « Le thème est aussi moins central par rapport à l’Union européenne, explique Stefano Torelli, chercheur et spécialiste des questions migratoires en Méditerranée. L’consideration se porte aujourd’hui sur le “Restoration Fund”, le plan de relance pour lequel de grosses sommes sont en jeu pour l’Italie. » Difficile de continuer à tirer à boulets rouges sur l’Union européenne face aux dizaines de milliards d’euros alloués au pays.
Enfin, les chiffres des arrivées de migrant·es sur les côtes italiennes ont considérablement baissé : un peu plus de 68 000 depuis le début de l’année, soit un tiers environ des arrivées totales en 2016. La tendance est toutefois à la hausse après une année 2020 avec 20 000 arrivées environ et à peine le double l’année suivante. Mais il n’y a pas eu de réel débat de fond sur le sujet, la coalition de centre-droit ayant ainsi tout loisir de s’emparer du sujet pour imposer ses idées.
Vidéos polémiques
Il y a bien eu quelques échanges un peu musclés entre les candidats, quelques vidéos polémiques dont les partis populistes italiens ont le secret. Début septembre, Alessio Di Giulio, conseiller municipal de la Ligue à Florence, se filme aux côtés d’une femme rom. « Vous ne voulez plus la voir ?, s’esclaffe-t-il, chemise ouverte et lunettes de soleil sur le nez. Si vous ne voulez plus la voir, votez la Ligue le 25 septembre ! » La vidéo a fini par être retirée de Fb, tout comme Twitter a censuré quelques jours plus tôt une vidéo publiée par Giorgia Meloni.
La scène se déroule dans la rue, sur un bout de trottoir que l’on devine derrière les pixels qui cachent le pire : une femme est violée. Ou plutôt, selon la légende donnée par la candidate d’extrême droite qui promet un tour de vis sécuritaire : une femme ukrainienne est violée par un demandeur d’asile.
Un voisin, alerté par les cris, a appelé les secours avant de filmer la scène. L’agresseur est arrêté en flagrant délit. La vidéo devient virale. La victime est reconnue et fait half dans les journaux de sa terreur et de sa détresse. Face à cette communication politique ultra-virulente, Matteo Salvini semble dépassé sur sa droite.
C’est la même impression lorsque Giorgia Meloni défend l’idée d’un « blocus naval », c’est-à-dire « une mission européenne en accord avec les autorités libyennes pour ouvrir des centres de regroupement en Afrique, y évaluer qui a le droit d’être réfugié, redistribuer ces réfugiés et renvoyer les autres », selon les explications qu’elle livre au journal télévisé TG1.
« Dans la campagne, des positions divergentes ont émergé entre la Ligue et Fratelli d’Italia sur les questions migratoires, en particulier sur les arrivées irrégulières de migrants, analyse Stefano Torelli. Il n’y a pas de stratégie commune au sein de la coalition de droite. Par exemple, Giorgia Meloni a évoqué l’éventualité d’un blocus naval, alors que cette proposition avait été abandonnée par Matteo Salvini, qui, paradoxalement, semble presque avoir une ligne plus souple sur ces questions. »
C’est probablement là que la coalition de centre-droit a déjà gagné la bataille idéologique sur ces sujets. Les positions extrêmes de Matteo Salvini lors de sa campagne de 2018 semblent désormais éculées. Les réseaux sociaux, savamment utilisés par les candidat·es de la Ligue ou de Fratelli d’Italia, offrent des tribunes libres aux mises en scène les plus décomplexées, sans aucun filtre. Chaque fois, les réactions sont outrées. Dans les faits, le débat est confisqué par la forme sans que l’on s’interroge sur le fond.
Preuve en est, une autre vidéo a scandalisé les Italiens et les Italiennes pendant cette campagne. Cette fois, la victime est nigériane. Alika Ogorchukwu avait 39 ans. Ce vendeur ambulant a été roué de coups dans le centre-ville de Civitanova Marche, dans la région des Marches (centre). Sa mise à mort, en plein jour, a été filmée et diffusée. Personne ne lui est venu en aide.
Sur l’origine italienne de l’agresseur, auquel il a fait l’affront de demander avec insistance une pièce de monnaie, aucun commentaire. Parmi les 250 personnes venues lui rendre un dernier hommage lors d’une manifestation, aucun·e candidat·e. L’enquête sur sa mort exclut pour l’prompt la haine raciale.
Son agression en rappelle une autre. Quatre ans plus tôt, toujours dans les Marches, à Macerata, et toujours en pleine campagne électorale, Luca Traini ouvre le feu sur une voiture. Il blesse six hommes originaires d’Afrique subsaharienne. Il nie tout acte raciste et explique avoir voulu venger le meurtre d’une jeune Italienne par un homme nigérian, un fait divers qui avait secoué le pays.
Ce sympathisant d’un groupuscule fasciste avait été candidat quelques années auparavant pour la Ligue du Nord. Lors de la manifestation contre le racisme organisée quelques jours plus tard, là encore, aucun·e grand·e responsable de parti politique n’était présent·e.
Crise démographique
Après la mort d’Alika Ogorchukwu, le Comité antiraciste italien publie une lettre ouverte, dénonce ce qui est un clair « épisode de racisme ». Il souligne aussi la précarité de l’activité du défunt, contraint de vendre des mouchoirs et de petits objets faute de travail : « C’est le signe tangible du manque de politiques de soutien à l’insertion dans le marché du travail et de l’absence de politiques structurelles viables contre le chômage et la pauvreté. De telles circumstances ont un impression sur la génération de leurs filles et fils, sur leurs possibilités futures du level de vue de la mobilité sociale, et sur leur destin en tant que classe sociale. »
Or, dans une Italie en pleine crise démographique, deuxième pays le plus vieux au monde après le Japon, ces questions n’ont pas fait l’objet du moindre débat au cours de la campagne. « Certains thèmes sont moins populaires que d’autres, reconnaît Stefano Torelli, notamment la campagne du Parti démocrate autour de l’égalité des droits des citoyens. »
Dans le sillage de cette campagne, une grande réforme est attendue depuis bientôt 20 ans par près d’1,3 million de filles et fils de « migrants », celle de la loi sur la nationalité de 1992, qui ne reconnaît pas le droit du sol. Qu’ils soient nés ou non en Italie, ils sont considérés comme résidents étrangers si leurs mother and father n’ont pas obtenu la nationalité italienne. Ils doivent attendre leurs 18 ans pour en faire la demande, sous certaines circumstances.
Le texte devait être discuté au Parlement italien… avant qu’il ne soit dissous au mois de juillet. « On a fait un pas en arrière. J’ai l’impression que même la gauche considère la réforme de la loi sur la nationalité et le droit du sol comme clivants, et ce n’est pas sûr que ces thèmes fassent consensus, y compris au sein de l’électorat de gauche », analyse le spécialiste des questions migratoires Stefano Torelli.
Les militants et militantes avaient organisé une grande campagne de sensibilisation sur le sujet et plusieurs mobilisations au mois de juin. Leurs espoirs de voir le texte discuté de nouveau ont été complètement douchés par le ton de cette nouvelle campagne. « La query de la nationalité ne doit être ni de gauche ni de droite », regrette Stefano Edward, dont les mother and father sont tamouls, originaires du Sri Lanka.
Il a mis plusieurs années après sa majorité à obtenir la nationalité italienne. « C’est une query importante parce que c’est un droit humain, celui d’être reconnu officiellement d’un level de vue identitaire. On aime un pays qui ne nous reconnaît pas, c’est quel style de vie ? », demande celui qui est aussi membre d’Italiens sans citoyenneté. En mai, l’affiliation avait lancé un appel au gouvernement, dont la query principale reste sans réponse : « Nous sommes prêts, et vous ? »